Le samedi 30 novembre, l'ACER organisait un parcours mémoriel dans le quartier de la Gare d'Austerlitz.

Pour cette occasion, notre ami, Ramon CHICHARRO, a effectué quelques recherches qui ont permis aux participants de jouir d'une information plus complète au cours de cette excursion.

Nous publions, ci-dessous, les notes de Ramon.

LE XIIIe arrondissement  (Gare –Salpêtrière)  dans les années 30

Il est bien difficile aujourd’hui de se représenter ce qu’était  ce secteur du XIIIe.

Le XIIIe arrondissement était dans les années 1930 un quartier industrieux et populaire.

Un quartier industrieux :

Le long des voies qui partaient de la Gare d’Austerlitz se succédaient non seulement des ateliers de réparations, des dépôts de machines, des bâtiments administratifs de la Compagnie des Chemins de fer d’Orléans, de vastes entrepôts (c’est d’ailleurs dans un entrepôt, 43 quai de la Gare, que les allemands vont installer un de leur trois camps de Paris qui étaient spécialisés dans le pillage des appartements dans le cadre  de l’opération « Meuble »)  mais aussi des industries alimentaires (les raffineries Say, les Grands Moulins de Paris)…

 

Plus à l’ouest, il y avait des industries automobiles  (Panhard et Levassor, Delahaye),  métallurgique (Gnôme et Rhône qui fabriquait des moteurs d’avions,..), les dépôts de métro-bus ….

Une implantation ouvrière :

Vivait une population laborieuse, dans des conditions parfois bien indignes ; ce mécontentement  social se traduisait par la lutte et le vote.

Ce secteur avait un conseiller municipal communiste (1919-1929) Jean Colly.

Aux élections législatives de 1932, le PCF présente Pierre Sémard  dans la circonscription « Maison Blanche – Croulebarbe » et Lucien Monjauvis dans celle de « Gare-Salpêtrière ». Ce dernier, qui deviendra un des deux préfets communistes à la Libération (l’autre étant un ancien d’Espagne, Jean Chaintron) est élu.

Pour les soutenir, un journal est crée en 1932 «  La barricade du XIIIe » qui deviendra en 1936 « La vie du XIIIe »

. Les événements de la cité Jeanne d’Arc (1er mai 1934)

Une des cités les plus connues et des plus insalubres (car promise à la démolition et à la reconstruction depuis 1911) était la Cité jeanne d’Arc. Celle-ci fera la une des journaux en 1934

Après le défilé, et la dispersion de la manifestation du 1er mai 1934, lorsque les manifestants apprirent que des interpellations avaient eu lieu et que leur député, Lucien Monjauvis ; avait été arrêté, les habitants de la cité Jeanne d’Arc commencèrent à dresser des barricades et résistèrent toute la nuit aux assauts des forces de l’ « ordre ».

De cette cité partirent au moins trois volontaires : Aleyaume , Zucker, Félix Dastillon. Ce dernier, dans sa biographie de brigadiste, à la question sur les manifestations auxquelles il a participé, répond « Sacco-Vanzetti, 9 et 12 février 1934, Cité Jeanne d’Arc. »

La Vie du 13e

Le journal va soutenir la politique du PCF  pour aider l’Espagne républicaine. Il publiera de nombreux  extraits de lettre de volontaires. En voici deux, tirés du livre «  Le 13e arrondissement de Paris- du Front Populaire à la Libération » :

«  … Nous sommes sur le front où tous les camarades, et en particulier ceux du 13e, se conduisent bien. Vous n’êtes pas sans connaître la réputation des Brigades internationales. En tous cas, avec elles, les espagnols prennent confiance.

…les camarades Largentier, Chevot, Zucker, etc., se font remarquer. Beyer a été blessé. En somme le 13e est à l’honneur. »

«  Nous sommes en train de subir un bombardement, mais ils tapent à côté.

Nous luttons avec nos héroïques camarades espagnols.les fascistes bombardent la population civile en faveur de l’Espagne républicaine et c’est cette racaille qui a la prétention de se poser en civilisateurs.

J’ai lu les grandes manifestations en faveur de l’Espagne républicaine ; il faut faire encore plus… »

André Marty, conseiller municipal et député du XIIIe arrondissement

En 1929, il succéda au conseiller communiste, Jean Colly, décédé, de la circonscription Gare-Salpêtrière. Il va s’impliquer entièrement dans cette tache et certaines de ses interventions sur le chômage, le logement seront publiées en brochures

Pour les élections de 1936, le parti communiste demande à Monjauvis de se présenter dans l’autre circonscription, moins favorable,  du XIIIe pour permettre l’élection d’André Marty. Celui-ci sera effectivement élu dès le premier  tour et Monjauvis sera battu dans l’autre circonscription (pour la petite histoire, il sera l’un des deux préfets communistes de 1944 à 1947 (l’autre sera  Jean Chaintron, un « ancien « de la guerre d’Espagne)

Pour ne pas cumuler son mandat de député et celui de conseiller municipal, il démissionnera de ce dernier mandat et Monjauvis lui succéda.

La Maison des syndicats, 163 bd de l’hôpital

Cette Maison des  syndicats était aussi utilisée comme lieu de réunion de différentes organisations : de l’Union des femmes  aux Campeurs rouges des 5e -13e  en passant par le Groupe Artistique de la Coiffure ou le PCF (remise  des cartes aux Jeunesses communistes pour 1934), (A. Rustenholz, Paris Ouvrier, p242)

Elle devint le lieu de rendez-vous des volontaires parisiens avant leur départ :

            « Le 7 octobre c’avait été un faux départ, alors que nous attendions à une centaine environ. Le responsable avait dit

            -«  pas ce soir. Ne dites rien, revenez après demain »

            Aussitôt il y avait eu des ronchonnements des mécontents. Certains         s’exclamaient :

            -«  mais nous voulons partir ! »

            Dans un coin un gars en vêtements qui toute la journée avait été recouvert du « bleu » de travail, murmurait : « Que vont dire les copains, ils vont croire que je me suis dégonflé » …et il n’osait pas s’en aller…

            Tout à coup le responsable accourut et monta sur un banc :

            « Camarades, ceux qui sont encore ici, revenez demain soir, ça marche ».

            Le copain était heureux d’avoir attendu et tous nous nous sentions ragaillardis.

            Donc le lendemain soir le 163 Bd de l’hôpital était occupé par un grand nombre de gars qui échangeaient des rires et des bourrades un peu nerveusement, mais dans un grand enthousiasme.

            Nous formons trois groupes avec un responsable pour chacun et nous nous dirigeons, par le métro, vers la Gare de Lyon. Nous avons été surpris de toucher 50 francs, certains les refusent…

            Nous ratons de peu un train et nous attendons quelques heures, mais il est impossible d’empêcher quelques gars d’aller voir les cafés environnants  où il faudra que le malheureux « responsable » qui commence son enfer aille les chercher.

            Au moment où le train démarre la foule des amis, des employés de la gare et autres personnes venues accompagner des parents partant en voyage, nous saluent d’une ovation formidable, le poing levé pour la plupart. Le cœur est étreint…

            Pourtant il parait que c’était un départ secret et dans la gare tout le monde savait déjà que c’étaient des volontaires pour l’Espagne qui allaient là-bas…au café après boire on parle tellement »

(Témoignage d’un volontaire, qui fait parti d’un des  premiers convois légaux, celui du 8 octobre 1936, qui arrivera à Alicante le 13 et le 14 à Albacete, BDIC)

De là, les volontaires allaient soit à la gare d’Austerlitz ou à la gare de Lyon (pour le transport par voie maritime).

La gare d’Austerlitz

Le départ des volontaires

C’était la gare la plus utilisée par les volontaires. Les deux autres étaient la Gare d’Orsay (mais les trains faisaient alors un arrêt à la gare d’Austerlitz) et la Gare de Lyon (utilisée pour le transport par voie maritime)

Les premiers départs « officieux » ont lieu en octobre.

Certains donnent lieu à de véritables manifestations :

« Il fait nuit noire lorsque nous arrivons à la gare d’Austerlitz. Le hall, les quais éclairés sont bondés. Il y a là plus de 2.000 volontaires en partance, les membres des familles, les amis, les délégués du PCF et des organisations antifascistes  venus prendre congé de ces hommes « levés avant le jour » qui forcent l’admiration.

Emue, intimidée, je reste collée à mon père qui nous fraie un chemin à travers la foule. Nous nous dirigeons vers le stand d’accueil signalé par une banderole HONNEUR AUX COMBATTANTS DE LA LIBERTE flanquée de deux drapeaux, l’un rouge et l’autre tricolore. Un groupe de responsables du parti, des collaborateurs de Maurice Tréand, entourent Maurice Thorez et Victor Michaut, qui tous deux ont un frère volontaire dans ce convoi.

Il ya également Maurice Lampe, secrétaire de Paris du PC, lui aussi volontaire, promu responsable du convoi. Marthe Desrumeaux, dite  Martha, secrétaire du syndicat du textile, grande amie de jeannette, est aussi là : elle accompagne le groupe des volontaires du Nord et du Pas-de- Calais jusqu’à Barcelone. » 

Lise London, « le printemps des Camarades », p248

Peu à peu, les départs se feront de plus en plus discrets, car les députés français vont interdire l’entrée de volontaires en Espagne,  mais le train « 77 » qui partait tous les soirs était connu  comme «  le train des volontaires » (Castells, p64).

Le retour des volontaires

Après la décision de Negrín de retirer les volontaires d’Espagne, ceux-ci sont regroupés dans des centres en vue de leur rapatriement. Ceux-ci commencent  à arriver à partir de la mi-septembre.

Les premiers contingents de blessés et de malades arrivent les 14 et 15 septembre 1938 et la solidarité se manifeste une fois de plus.

« Nous sortons de la gare. Tous près, rue Buffon, une trentaine de taxis ont été gracieusement mis à la disposition de l’Amicale par le syndicat des chauffeurs taxis. »

Le convoi du dimanche 13 novembre 1938, composé de volontaires de la Seine, avec à leur tête André Marty, donnera lieu à une imposante  manifestation.  Transportés dans des « wagons de bois », sans communication entre eux, ils n’arriveront pas dans le hall de la gare centrale mais  dans celui de la rue Sauvage. Là, les attendent diverses personnalités,  dont Maurice Thorez, et une foule de Parisiens.  Ils défileront de la gare d’Austerlitz à la Maison des Métallos.

La Nueve dans le 13e

Le jeudi 24 aout, la 9e compagnie commandée par le colonel Dronne reçoit l’ordre de Leclerc «  de filer droit sur Paris ».Elle est majoritairement composée de Républicains espagnols (146 hommes sur 160).

 Les half- tracks se nomment Madrid, Brunete, Guadalajara, Ebro, Guernica, Don Quichotte, Amiral Buiza, España Cañi (puis Libération)…et  Pingouin (le nom de « Buenaventura Durruti »  ayant été refusé par les supérieurs français)


La colonne démarre à 20 heures. A 20h 45, elle atteint la  porte d’Italie. Le colonel Dronne choisit un objectif : «  Ce sera l’Hôtel de Ville, parce que depuis un lointain passé, l’Hôtel de Ville est le symbole des libertés parisiennes, le cœur palpitant de toutes les insurrections »

Là, un jeune homme se propose comme guide pour éviter pour éviter les barricades et les défenses allemandes.

« Il saute sur sa motocyclette et démarre. Nous le suivons. Notre guide est un arménien. Il s’appelle Lorenian Dikran ».

La petite colonne s’engage dans l’avenue d’Italie, bifurque par la rue de la Vistule, se lance dans la rue Baudricourt, tourne dans la rue Nationale, continue par la rue Esquirol, rejoint le Boulevard de l’Hôpital et franchit la Seine au pont d’Austerlitz, puis le long des quais de la rive droite arrive à l’Hôtel de Ville à 21h22.

Avant de s’endormir, le colonel Dronne entend  du côté du bazar de l’Hôtel de Ville un groupe d’espagnols qui chantonnent […] El paso del Ebro. Ressuscitée et modifiée par les combattants de l’armée républicaine, elle met sérieusement en doute la vertu de l’épouse du généralissime Franco. Quelques mots me parviennent  « Ay Carmela… Ay Carmela… (Carmela est l’épouse de Franco)  ¿Cómo haces la cocina?  (Comment fais-tu la cuisine ?)…Haces el fuego con los cuernos de Franco ? (Tu fais le feu avec les cornes de Franco) ».

Ils ne s’arrêteront qu’à … Berchtesgaden.

 Le parcours de la Nueve est signalé par des médaillons. Sur notre parcours, il y en a deux :

- 64 bd de l’hôpital (préfecture de police)

- pont d’Austerlitz

Ramon Chicharro, 29/11/2013