De la Retirada à la Résistance

ImageDe la Retirada à la Résistance

 

Un article de José Fort et Pierre Rebière dans l’Humanité Dimanche du 11 avril

 

De la Retirada à la Résistance

« Il était devant moi, livide, assis sur une table dans un cabanon situé près de Cervia de Ter sur la route de Port-Bou. Près de lui, sa mère Ana, son frère José, Matea sa belle-sœur. Je ne savais pas qu’après tant de kilomètres sous la neige, épuisée par des heures et des heures de marche, j’allais passer un moment en compagnie du célèbre poète Antonio Machado qui mourra deux mois plus tard  dans une chambre d’hôtel à Collioure. Il s’est écarté pour laisser une place à ma mère et a récité le poème qu’il avait dédié en 1936 à Federico Garcia Lorca «Le crime a eu lieu à Grenade » :

« On le vit, avançant au milieu des fusils

« Par une longue rue

« Sortir dans la campagne froide

« Sous les étoiles, au point du jour

« Ils ont tué Federico

« Quant la lumière apparaissait

 Marie-Thérèse, aujourd’hui âgée de 92 ans, se souvient de la « Retirada ». 500.000 Espagnols avaient pris le chemin de l’exil. Elle était une parmi tant d’autres.

Antonio Machado avait quitté Barcelone le 22 janvier 1939 alors que les troupes franquistes pilonnaient la capitale catalane. Marie-Thérèse avait rejoint le lendemain une des colonnes de réfugiés depuis Mataro avec sa vieille mère et sa sœur. Elles laissaient en terre espagnole  mari et père, fils et frère morts au combat en défendant la République élue au suffrage universel et assassinée par les putschistes emmenés par le général Franco, l’homme lige des régimes nazi et mussolinien. « A la frontière », dit-elle, « les gardes mobiles français dépouillaient nos hommes de leurs armes. Nous, nous n’avions que deux baluchons. J’ai su, bien après, que Machado avait pu rejoindre Cerbère où il passa une nuit dans un wagon de train abandonné avant de rejoindre Collioure. Moi, ma mère et ma sœur, nous avons eu de la chance. Mon compagnon – Français, ancien des Brigades internationales – avait mis en place un dispositif pour nous tirer du guêpier. Un homme nous attendait derrière le rideau des gardes mobiles. Tout à coup, une brèche s‘ouvrit et l’on nous poussa dans une voiture. Plus tard, on nous fit monter dans un train avec interdiction de prononcer le moindre mot. Nous avons eu de la chance, pas nos camarades perdus dans le froid et la peur à Cerbère. »

Sur les 500.000  hommes et femmes qui avaient franchi la frontière, deux cent soixante-quinze mille furent internés dans des camps. A Argelès, on entassa les réfugiés sur la plage puis, le nombre grossissant, des nouveaux camps furent ouverts notamment à Saint-Cyprien à Barcarès… Ils étaient  dépourvus de structures les plus élémentaires : pas de baraquement, de latrines, de cuisine, d’infirmerie et même d’électricité. A Gurs , une plaque rappelle qu’en cet endroit « séjournèrent 23.000 combattants espagnols, 7.000 volontaires des Brigades internationales, 120 patriotes et résistants français, 12.860 juifs immigrés internés en mai-juin 1940, 6.500 juifs allemands, 12.000 juifs arrêtés sur le sol de France par Vichy. » Les camps « espagnols » préfigurèrent très vite d’autres formes de camps. Dès 1939, les autorités françaises de l’époque avaient qualifié ces camps de « camps de concentration ».

Les Espagnols prisonniers à Argelès et ailleurs ont connu toutes les vexations. Chaque jour, les gendarmes invitaient les prisonniers espagnols à retourner chez eux ou à s’engager dans la Légion étrangère. On dressa la liste des « meneurs » placés dans des parcelles surnommées hippodromes. D’autres seront expédiés dans des prisons militaires. Pourtant la vie s’organisait. Des dispensaires de fortune étaient installés, des cours dispensés, la sécurité assurée. Et malgré les divisions politiques et idéologiques, chacune des organisations reconstituées entamera dans ces camps son chemin vers la Résistance en France contre l’occupant nazi.

Avec le temps, des réfugiés espagnols finiront par trouver du travail à forte pénibilité : les mines, les chantiers forestiers, l’agriculture, le bâtiment où ils retrouveront souvent des compatriotes installés là depuis 10, 20 ans ou plus. Avec le déclenchement de la guerre contre l’Allemagne, l’espoir d’une revanche et d’une reconquête renaît. Lorsque le gouvernement français met les réfugiés d’âge mobilisable en demeure de choisir entre retour au pays ou incorporation dans des Compagnies de travailleurs étrangers (CTE), le choix est vite fait. Pour la plupart, le combat va continuer en France même ou hors de France dans les armées alliées ou de la France Libre.

Sur les 270.000 réfugiés espagnols restés en France, environ 60.000 sont incorporés dans les 250 CTE, sous statut militaire et affectés à des travaux du génie (fortifications, routes…) Ils participent aussi aux combats. Sur les 80.000 morts de 1939-1940, 5.000 sont Espagnols. Les autres, pour moitié d’entre eux sont faits prisonniers. Franco les ayant déchus de leur nationalité et Pétain collaborant, on ne leur applique pas les Conventions de Genève sur les prisonniers de guerre. Nombre de ces « Espagnols rouges » marqués du triangle bleu d’ « apatrides » sont envoyés dans le terrible camp de concentration de Mauthausen. Ceux restés libres passent sous le contrôle du Ministère vichyste de la Production et sont souvent affectés dans les « Groupements des travailleurs étrangers » (GTE) pour aller construire le Mur de l’Atlantique ou travailler sur des chantiers forestiers. La Résistance disposait là de très bonnes sources d’information.

 

 

12.000  Espagnols environ prirent part directement aux combats de la Résistance française dans les FFL, les FTP, FTP-MOI, dans l’Armée Secrète, les Corps francs de Libération et aussi dans leurs propres structures, en particulier en Midi-Pyrénées. Ils disposaient d’une grande expérience tout comme leurs camarades des Brigades internationales. Pour  Charles Tillon, commandant des FTP, «  les anciens d’Espagne constituait une grande partie de l’armature de ces premiers groupes armés de la Résistance communiste. » Le colonel Henri Rol-Tanguy aimait rappeler que « quand il a fallu mettre sur pied l‘Organisation spéciale nous avons systématiquement cherché nos camarades des Brigades internationales. » Le colonel  aura à ses côtés de nombreux Espagnols pendant l’insurrection parisienne. Ils serviront de guides aux blindés de la 2 eme DB du général Leclerc lors de leur entrée dans la capitale. Les tanks portaient les noms de « Madrid », « Brunete », « Teruel », « Guadalajara ». Les équipages croyaient que Paris était une étape avant de foncer libérer Madrid. On leur avait menti.

 

Cécile Rol-Tanguy, décorée

 
Article paru le 22 décembre 2008 Image

Politique

Cécile Rol-Tanguy, décorée

 
distinction . L’épouse d’Henri Rol-Tanguy a reçu les insignes de commandeur de la Légion d’honneur.

Rol-Tanguy et Aubrac, Aubrac et Rol-Tanguy, deux patronymes pour quatre résistants chers à la mémoire des Français libres : Henri, Cécile, Raymond, Lucie. Les deux premiers ont libéré Paris, avec l’appui du général Leclerc. Les deux autres ont mené la Résistance lyonnaise avant de rejoindre le général de Gaulle à Londres. Le 18 décembre dernier, Cécile Rol-Tanguy recevait des mains de Raymond Aubrac les insignes de commandeur de l’Ordre national de la Légion d’honneur, en présence de Bertrand Delanoë et de Jacques Chirac. « Toi et moi sommes témoins de deux couples dont les destins sont assez parallèles, rappelait Raymond Aubrac dans son hommage. Il n’y a pas d’Henri sans Cécile », comme il n’y a pas de Raymond sans Lucie. De fait, les destins de Cécile Le Bihan, dactylo et fille d’un des fondateurs du PCF, François Le Bihan, et d’Henri Rol-Tanguy, ouvrier métallurgiste et militant syndicaliste, sont indissociables. Mariés en 1939, ils se connaissaient déjà avant : Cécile Le Bihan étant la marraine de guerre d’Henri Rol-Tanguy, alors engagé dans les Brigades internationales et parti combattre en Espagne. En 1940, après l’arrestation de son père pour activité communiste, Cécile entre dans la clandestinité. « Naturellement, car c’était la suite logique de mon engagement syndical et politique », affirme-t-elle encore aujourd’hui. Henri Rol-Tanguy, démobilisé, la rejoint dans un Paris déserté, entre à son tour dans la Résistance et, grâce à elle, renoue avec ses compagnons. Sans jamais hésiter, elle épousera tous ses engagements et ses combats, devenant à la fois son agent de liaison et sa secrétaire. Engagements et combats que la République se devait d’honorer en la décorant de l’une de ses plus hautes distinctions. Et Cécile Rol-Tanguy, bon pied bon oeil, de préciser : « Cette décoration, je l’accepte pour toutes ces femmes de la Résistance qui n’ont jamais rien eu, qui, la guerre finie, sont rentrées chez elles et ont repris leur vie. Toutes ces femmes de la Résistance populaire, auxquelles je ressemble et que je représente un peu. »

Jérôme-Alexandre Nielsberg