Courrier adressé à l'Ambassadeur de France à Varsovie par
Jean-Claude Lefort, Député du Val-de-Marne 


M. Pierre MENAT
Ambassadeur de France
en Pologne
Ulica Piekna
1
00-477 Varsovie
Pologne

Monsieur l’Ambassadeur,  

Je viens vers vous à propos de la décision que s’apprête à prendre le gouvernement polonais au sujet des citoyens de ce pays qui sont allés, de 1936 à 1939, combattre en Espagne républicaine à l’appel du gouvernement légal, démocratiquement élu, contre la rébellion organisée par le général Franco. Ces polonais faisaient partie des 40.000 volontaires internationaux venus de 54 pays qui se sont engagés dans les Brigades internationales.

Je vous écris en tant que député qui a œuvré pour que le titre d’Ancien combattant soit accordé aux volontaires Français sur ce champ de bataille prélude de la seconde guerre mondiale. Cela a été obtenu suite à une décision du Président de la république M. Jacques Chirac, ratifiée par notre Assemblée nationale, au moment symbolique du transfert au Panthéon des cendres de ce combattant illustre en Espagne républicaine : M. André Malraux.

Je vous écris aussi en tant que coprésident de l’ACER (association des Amis des Combattants en Espagne Républicaine) qui regroupe des fils et des filles d’anciens Brigadistes (ce qui est mon cas) mais aussi des enfants et amis des républicains espagnols qui non seulement ont combattu Franco en Espagne mais qui se sont pour une grande part retrouvés dans les rangs de la Résistance française pour lutter contre l’occupation nazie et poursuivre ainsi leur combat.

Le gouvernement polonais considère que ces personnes, qui ont un grand âge aujourd’hui, sont des « traîtres et des criminels ». Ni plus ni moins. Il se propose de supprimer leurs pauvres pensions et de « nettoyer » la Pologne de tout souvenir de cette période (des rues sont débaptisées, des noms de Brigadistes sont effacés des monuments liés à la seconde guerre mondiale dont il est établi que la guerre d’Espagne constituait les prémices).  

En Espagne place a été reconnue et honneur a été rendu à ces Brigadistes et Républicains espagnols. En France, je l’ai dit, c’est le Président de la République qui a œuvré en ce sens. La Pologne d’aujourd’hui, avec ces propositions, se trouve à reprendre les thèses franquistes et nazies de l’époque.  

Ce n’est pas acceptable en général, ce l’est encore moins dans un pays membre de l’Union européenne. C’est faire injure à l’histoire et à la mémoire européenne que d’agir en ce sens. Ce sujet ne peut donner lieu à des « opérations » de politique intérieure.  

Ce n’est donc pas s’ingérer dans les affaires internes de la Pologne que de lui demander de ne pas fouler aux pieds la mémoire de celles et ceux qui ont combattu le franquiste et le nazisme, de ne pas gommer l’histoire ni de la refaire. Agir en ce sens c’est faire œuvre utile pour l’Union, c’est rappeler et défendre le socle de valeurs communes qui réunit les peuples de l’Union. 

C’est pourquoi je vous demande, au nom de ces valeurs qui doivent tous nous rassembler en Europe et en mémoire de ces combattants hors du commun, de bien vouloir exercer de votre influence auprès du gouvernement polonais pour l’amener à renoncer à ces projets.

A l’occasion du 60ème anniversaire du départ des Brigadistes en Espagne républicaine, en 1996, l’Espagne a réservé un accueil officiel chaleureux à ces combattants de la liberté. Les Français, avec le Colonel Henri Rol-Tanguy à leur tête, étaient nombreux. Nous fûmes reçu à l’Ambassade de France en Espagne.

L’Ambassadeur français de l’époque en poste à Madrid, Son Excellence Monsieur Patrick Leclerq, après avoir salué « ces volontaires de la liberté », déclara en cette circonstance  que : « L’occasion exceptionnelle qui nous réunit m’invite à vous dire, d’abord, combien cette Ambassade se réjouit de pouvoir vous accueillir aujourd’hui, Brigadistes Français, alors que vous êtes rassemblés en Espagne, avec vos camarades venus d’une quarantaine d’autres pays, pour célébrer le soixantième anniversaire de ce qui représenta, sur cette terre espagnole, la contribution d’hommes et de femmes généreux aux combats pour la liberté et la démocratie, élan qui sauva, au niveau de ces initiatives individuelles, la dignité des pays dont elles provenaient.»

Il poursuivait : « Cette Espagne qui vous accueille présente un spectaculaire témoignage du caractère supérieur des valeurs pour lesquelles vous avez lutté. Celles-ci transcendent les aléas. Leur flamme demeure là où l’ombre paraît avoir tout recouvert pour autant que des hommes et des femmes de courage et de foi entretiennent l’espoir. (…) S’il y a 60 ans, vous vous êtes ainsi portés spontanément aux côtés de vos amis Espagnols qui vous ont depuis exprimé leur gratitude en vous conférant, par une décision unanime du Congrès des Députés, leur bien le plus précieux, la nationalité espagnole, tandis qu’en écho, le Président de la République Française, M. Jacques Chirac, vient de vous reconnaître la qualité officielle de combattant, beaucoup d’entre vous ont eu à poursuivre ailleurs leur lutte. » 

Il concluait son propos en indiquant : « La signification profonde de cet hommage est d’entretenir la mémoire de telle sorte que votre exemple inspire les générations récentes, à la fois pour que les situations que vous avez connues ne se reproduisent plus et pour qu’elles mêmes sachent le prix de la liberté et les sacrifices qu’elle peut appeler afin qu’elle finisse toujours par triompher

C'est à tout cela que le gouvernement polonais s'attaque : à ceux qui furent la dignité de la Pologne ; à ces polonais à qui l'Espagne a accordé, en hommage et reconnaissance, la nationalité espagnole ; à la mémoire des combats pour la liberté qui ne doit pas, qui ne doit jamais s'effacer ; à la résistance contre l'oppression, pour la liberté et la paix; à l'espoir contre l'ombre.

C'est un devoir du passé. C'est une exigence pour le présent. C'est une nécessité impérieuse pour l'avenir.

Avec la sertitude d'une action diligente de votre part,

Je vous prie de croire, Monsieur l'Ambassadeur de France, en l'expression de mes salutations les plus distinguées.

Jean-Claude Lefort,
Député du Val-de-Marne.