Là, au milieu de vignes : un barrage de corps.

Billet d’humeur

 

Des batailles, nous en avons des visions différentes.

Livres d’école, tableaux flamboyants des musées. Films romancés et documentaires d’époque morcelés en autant de visions de tragédies dont l’intensité est insoupçonnable pour le spectateur. Même pour le plus émotif.

Documentation en main, soigneusement notée puis enrichie, complétée autant que possible par les ouvrages à ta disposition, arrivé sur l’emplacement d’affrontements, avec un guide, ton papier te tombe des mains.

« Un vieux du village raconte que gamin intrépide il se risqua sur les lieux des combats. Quand le calme fut revenu, il sortit de sa cachette, une des grottes à l’entrée du village. Là, au milieu de vignes : un barrage de corps. Impossible de progresser sans marcher sur des cadavres qui semblaient reposer à perte de vue ».

Nous en bordure de ce qui est devenue une immense oliveraie ta « vision » peine à imaginer les massacres.

La fontaine et son abreuvoir de pierre, là ou tu puises l’eau dans les cruches et les amphores à transporter par les ânes, puis tout en bas, au bout, devenue auge à abreuver les bêtes. Des morts partout, des écoulements tragiques, l’eau est rouge. L’eau coule rouge. L’eau semble à jamais … rouge. Peut on imaginer le sang des héros qui « glougloute » ?. Horreur.

Un moment, nos œillets qui y sont jetés en leurs mémoires, raniment le souvenir tragique. Fulgurance de l’association de l’image. Osmose fugitive.

Rouge, « los Rojos », rouge, les milliers de flammes des fusils, rouge, les éclats d’obus, rouge, les yeux de leurs descendants.

Lopéra restera désormais pour moi un sacrifice humain à chaque évocation. Aussi magnifique d’émotions soit il, le « grand air » ne pourra supplanter les rafales et les râles des agonisants. Le chant de « L’International » hurlé à pleins poumons, dans toutes les langues, pour reprendre la position, non plus. Prépondérance de l’évocation.

Des Anglais y occupent pour toujours la colline dite « du suicide » ou dans la fureur des prises et des abandons, puis des reprises, 4 … 5 … 6 fois de la position, quelques 400 britanniques sacrifiés y laissèrent le poète Fox, commandant d’occasion et un de ses soldats de 16 ans, RJ Cornford, mourir pour la liberté. Pour sauver Madrid.

Un monument aussi simple fut il marque un hommage.

Bien pitoyable que celui ci, en hauteur du Jarama.

Un amas de pierres informe et branlant, surmonté d’une petite étoile à 3 branches, d’une image, des bribes de ruban aux couleurs républicaines. A ses pieds, des vestiges en vrac … un bidon d’eau troué, des éclats divers, un bout de canon de fusil mitrailleur, des boîtes de sardines, des plaques de crosses de fusils, des balles, des douilles. Des ossements, aussi.

Une boule au ventre, la consternation te saute au visage devant cette relique sur ce tas, plus semblable à un dépotoir pour nettoyer les pieds de vignes qu’un signe de reconnaissance éternel sublimé. Seule notre présence et nos drapeaux en berne, notre recueillement, marquent la symbolique du lieu. L’identifient. Le consacre … si j’osais.

Je trouve une boîte de conserve de l’époque. Une amie, une balle. Le guide un obus non éclaté qu’il s’empresse de caché.

Nous parcourons les tranchées. Les casemates des postes de mitrailleuses. Les tunnels creusés sous la collines pour se protéger de l’aviation Italo - Allemande.

L’imposant monument, officiel, lui, des 2 poings rassemblés, a succédé à celui de l’unique poing levé détruit par les franquistes.

Depuis notre visite en 2006, il a connu nombre d’ agressions et d’offenses. Détériorations et profanations. La haine est encore palpitante.

En contrebas, la cavalerie de « los moros », chevaux abandonnés à ses pieds, gagne du terrain face à des Brigadistes qui ne tiennent que par la durée de leurs dernières cartouches … ensuite l’ultime corps à corps à la baïonnette.

Notre voyage sur leurs traces et notre modeste mais opiniâtre combat pour la mémoire continue.

Pour eux, pour l’éternité « No Pasaran ».