Image  daté du 8 novembre 20IO

 

Marcelino Camacho : le courage et l’intelligence pétillante

Par José Fort, journaliste

 

« As-tu lu le dernier livre de Roger Garaudy ?  Qu’en penses-tu ? ». Au parloir de la prison de Carabanchel dans la banlieue de Madrid, Marcelino Camacho avait délaissé un moment sa femme Josefina poussant le leader communiste asturien Horacio Inguanzo à qui je rendais visite pour me poser la question. Je ne le connaissais pas et Horacio me dit : « C’est Camacho, le leader syndicaliste, avaleur de livres, mon camarade de parti et ami très proche ». C’était au mois d’août 1973, trois ans avant la mort de Franco. Camacho et Inguanzo avaient été condamnés par la dictature à vingt ans de prison.

Le  futur fondateur des Commissions ouvrières (CC.OO) avait déjà une vie bien remplie : d’abord six ans de prison après la guerre d’Espagne pour « participation à la rébellion » puis interné dans différents camps de travaux forcés avant d’être transféré à Tanger d’où il s’échappe, passe au Maroc sous tutelle française et se retrouve à Oran. Il aimait cette ville où il a appris une langue française teintée d’espagnol et d’arabe. Un soir à Paris dans les années 1980, reçu par Roland Leroy au siège de « l’Humanité », Camacho nous avait fait passer un moment savoureux en déclinant un discours… coloré.

Marcelino Camacho et sa famille rentrent en Espagne en 1957. Dure période. Ouvrier métallurgiste dans l’entreprise Perkins Hispania, il a le culot de se présenter à l’élection du comité d’entreprise dans le syndicat vertical lié au pouvoir. « Il fallait, précisera-t-il plus tard, profiter de toutes les possibilités pour organiser la lutte contre le régime et améliorer les conditions de vie des travailleurs ». En 1964, il crée la Commission ouvrière de la métallurgie de Madrid, sous le nom de Commission provinciale des délégués et représentants syndicaux. Il s’agissait de la première  Commission ouvrière de nature permanente à l’origine de la Confédération syndicale des Commissions ouvrières (CC.OO) qui compte aujourd’hui près de trois millions d’adhérents.

 A partir de 1965, il passe de nombreuses journées et nuits dans les locaux de la brigade politico-sociale. Il est emprisonné en 1967 et il lui faudra attendre la mort de Franco pour recouvrer la liberté. C’était en 1976. Cette même année, Marcelino Camacho est élu premier secrétaire général des Commissions ouvrières. Il fut aussi élu député du parti communiste d’Espagne lors de la période de transition (1977) mais quitta rapidement cette fonction « pour éviter tout conflit entre la discipline de vote du parti et la fidélité aux intérêts des travailleurs. »

A chaque voyage en Espagne que j’effectuais pour « l’Humanité », je rendais visite à Marcelino devenu un personnage incontournable de la vie politique et sociale du pays. J’avais souvent un bouquin à offrir à « l’avaleur de livres ». « Tu es libre demain, me dit-il un jour, si oui viens avec moi à Barcelone. »

A peine débarqué dans la capitale catalane, j’ai pu constater la popularité de Camacho. Difficile de se frayer un chemin dans l’aéroport. Dans la voiture, un responsable syndical annonçait le programme de la journée. Rencontres avec les salariés de la Telefonica, puis avec les travailleurs de la Seat dans la banlieue de Barcelone, déjeuner avec les responsables syndicaux de la région puis nouvelle rencontre cette fois dans une usine textile avant quelques interviews et le meeting du soir. Pendant toute cette journée, Marcelino a peu parlé ne s’exprimant que le soir lors du meeting. « Il faut savoir écouter », disait-il. Chaque semaine ou presque, il fuyait le bureau pour aller au contact des salariés.

Marcelino Camacho est mort il y a quelques jours à Madrid. Il avait quitté depuis plusieurs années ses responsabilités. « Je suis, je reste communiste et militant syndicaliste », clamait-il. Un homme droit, courageux, brillant organisateur, d’une intelligence pétillante qui a marqué la lutte contre la dictature et la défense des travailleurs vient de disparaître. Comme Pasionaria, il restera gravé dans la mémoire espagnole.  

José Fort