Dominique VINCETTI ( 1916 – 1943 )
Né à Silvareccio le 29 septembre 1916, tombé les armes à la main le 19 août 1943

 

 Discours prononcé par Jean-Claude Lefort

Député honoraire

Coprésident de l’ACER

A l’occasion de l’inauguration de la stèle en l’honneur de

Dominique Vincetti à

Casta en Corse, le 19 août 2010

 

« Si tu passes par là, par cet endroit sauvage/Au lieu nommé Casta, désert des Agriates/Si tu passes par là, prends un peu de ton temps/Un homme est tombé là, il avait vingt-sept ans ».

Ainsi, Maria Casanova, la nièce de Dominique Vincetti, nous appelait-elle à ne pas oublier ce grand résistant à qui nous rendons hommage aujourd’hui, en inaugurant une stèle érigée à sa mémoire.  

C’est un grand honneur pour moi d’être parmi vous en ces moments solennels et particulièrement émouvants.  

C’est au nom de l’association des « Amis des Combattants en Espagne Républicaine » – l’ACER –, que je veux parler du combat que mena Dominique Vincetti, sur une autre terre que celle de Corse, sur celle d’Espagne, lui qui s’engagea dans les Brigades internationales quand elles se sont formées en 1936.

Je veux parler de cet engagement qui fut le sien en Espagne car tout se tient – absolument tout – dans la vie bien courte de ce fils de forgeron, une vie marquée par la clairvoyance, le courage, l’abnégation, un goût absolu pour la liberté, un goût irrépressible à en mourir.

Etant moi-même fils de brigadiste, devant le cercueil duquel un autre « Grand corse », François Vittori, rendit un dernier hommage, vous comprendrez que cela me touche tout particulièrement d’être ici et que je souhaite parler un instant de son engagement dans les Brigades.

Espagne. Février 1936. Le Front populaire gagne les élections. La République est restaurée. En France le Front populaire l’emporte en mai.

A l’époque, face aux 110 millions d’habitants que comptent alors 3 pays totalitaires – l’Allemagne, l’Italie et le Portugal – cinq autres pays, dont la France et l’Espagne, attachés à la paix en comptent 300 millions. On peut alors encore conjurer le danger fasciste.

Hitler et Mussolini ont donc un plan : mettre la main sur l’Espagne pour isoler la France afin de la conquérir ensuite. Et c’est ainsi que, savamment orchestré, préparé et soutenu par les fascistes, devait éclater en Espagne, le 18 juillet 1936, un putsch initié par un quarteron de généraux félons, dont le tristement célèbre Franco. Leurs troupes criaient : « Viva la muerte ! », « A bas l’intelligence ! »

La république espagnole fait alors appel au soutien de la France et de la Grande-Bretagne. La réponse des gouvernements concernés sera : la non-intervention.

Face aux franquistes très puissamment soutenus par l’extérieur, la jeune République espagnole est en position de faiblesse. C’est alors que sont créées les Brigades internationales, le 22 octobre 1936.

Et se déclenche à ce moment un phénomène populaire jamais connu ni reproduit dans l’histoire. Venus de 54 pays, dont 8.500 de France, 35.000 hommes répondirent alors « Présents ! No pasaran ! » 

Ces brigadistes, en arrivant en Espagne, devaient faire ce serment : «  Je suis ici parce que je suis un volontaire, et je donnerai, s’il le faut, jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour sauver la liberté de l’Espagne, la liberté du monde entier ». 

Dominique Vincetti était de ceux-là qui se sont levés avant le jour. Qui avaient compris que défendre Madrid c’était la solidarité internationale mais que c’était aussi défendre la paix mondiale. Ils considéraient, et l’histoire leur a donné raison mais à quel prix, que les prémisses de la seconde guerre mondiale se nouaient là, dans cette bataille, dans cette guerre d’Espagne qu’on nomma à tort « une guerre civile ».

Quand la France officielle se couchait lamentablement, laissant faire Franco, Hitler, Mussolini et Salazar ; quand elle restait sourde aux appels du gouvernement légitime espagnol en répondant « non-intervention », eux se sont levés. Ils sont allés en Espagne pour prendre les armes. De pauvres armes au demeurant. Ils considéraient qu’il valait « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux ! ». Courageusement. Lucidement. 3.500 volontaires français périrent dans les combats, leur sang à jamais mêlé à la terre d’Espagne.

Ces « Volontaires de la liberté » étaient et sont l’honneur de la France.

Dominique Vincetti partit en décembre 1936. Il fut affecté à la 14ème brigade dénommée « Marseillaise ». Il fut grièvement blessé à la bataille terrible de Guadalajara, en février 1937. Atteint par une balle explosive à la cuisse, il demeura plâtré six mois et il dû être rapatrié en France.

Je reprendrai ici, à l’adresse de Dominique Vincetti, quelques phrases de François Vittori, prononcées dans son discours d’adieu à mon père, le 13 mars 1952, car elles s’appliquent à tous les brigadistes. Je le cite : « Il avait compris le double but que poursuivait le fascisme en attaquant l’Espagne : détruire la jeune République et isoler, encercler la France. (…) Face aux hommes de la non-intervention à sens unique, face à la trahison, il a montré au magnifique peuple espagnol le vrai visage de la France ardente et généreuse, toujours présente lorsqu’il faut payer le prix du sang pour la sauvegarde de la liberté. En allant là-bas, il n’avait demandé qu’une seule chose : l’honneur de prendre sa place dans ce combat pour la liberté. » Fin de citation.

Les combats en Espagne, du fait du rapport de forces, tournèrent au profit des nazis et des fascistes.

Dans une dernière tentative pour sauver la République, le Président espagnol fit une démarche à la Société des Nations, l’ONU de l’époque. Il proposa le 21 septembre 1938, de retirer les Brigades internationales en échange d’un retrait du soutien hitlérien et mussolinien à Franco.

Les Brigades internationales sont donc retirées d’Espagne. Pas les autres. Ils partirent de Barcelone le 28 octobre 1938. Et un mois après, le 30 septembre, ce sont les Accords de Munich qui livrent la Tchécoslovaquie à Hitler. Tout se tient.

A la tribune des Cortès, réfugiés à Barcelone, une femme s’adresse aux brigadistes et à leurs femmes. Il s’agit de Dolorès Ibarruri, la Pasionaria. A leurs femmes, devenues veuves, elle dit : « Mieux vaut être la veuve d’un héros que l’épouse d’un lâche ».

Et parlant des Brigadistes elle s’exclame : « Ils étaient communistes, socialistes, anarchistes, républicains, hommes de toutes les couleurs, d’idéologies différentes, de religions opposées, mais tous aimant profondément la liberté et la justice, sont venus s’offrir à nous, sans conditions. Ils nous donnaient tout : leur jeunesse ou leur maturité, leur science ou leur expérience, leur sang et leur vie, leurs espérances et leurs désirs… Drapeaux d’Espagne ! Saluez tant de héros ! Inclinez-vous devant tant de martyrs ! »

C’est aussi à Dominique Vincetti qu’elle s’adressait.

Franco maîtrise l’Espagne en avril 39. La monarchie est rétablie. Le maréchal Pétain est nommé ambassadeur de France à Madrid. Tout se tient, décidemment.

Pour avoir eu l’honneur de connaître Henri Rol-Tanguy et d’avoir eu avec lui de nombreuses discussions, combien de fois ne l’ai-je pas entendu me dire : « Si l’Espagne avait été aidée, la seconde guerre mondiale n’aurait sans doute pas eu lieu ».

Lourde est la responsabilité des gouvernements de l’époque. Et voilà aussi pourquoi cette guerre d’Espagne est souvent absente ou gommée des manuels d’histoire scolaires. Longtemps on appela les brigadistes : « Les oubliés de l’histoire ». Car parler d’eux c’est bien sûr parler de leur clairvoyance et de leur courage mais c’est aussi souligner la lourde responsabilité de ceux qui refusèrent de porter secours à l’Espagne et qui décrétèrent la lâche et terrible « non-intervention ».

Oui tout se tenait. Et c’est ainsi que pour marquer ce fait occulté volontairement, à la Libération de Paris dirigée par un autre brigadiste – Henri Rol Tanguy –, celui-ci avec le général Leclerc font entrer la deuxième DB dans la capitale. Mais ils ne la font pas entrer n’importe comment. Non ! Les 5 premiers chars qui pénètrent dans Paris le 24 août 1944 portent le nom d’une bataille espagnole. Ces 5 premiers chars s’appellent : Guernica, Madrid, Brunete, Belchite et Guadalajara – la bataille où précisément Dominique Vincetti fut grièvement blessé.  

Comme me le disait Rol-Tanguy parlant de la Libération : « Ainsi la boucle était bouclée ». Dominique Vincetti n’a pu la voir. Mais, quelque part, il était dans ces chars qui entrèrent à Paris…

C’est pour tout cela que, non, Maria Casanova, nous n’oublierons pas qu’en « ce lieu nommé Casta, désert des Agriates, un homme de 27 ans est mort. »

Nous nous souvenons de vos phrases qui sont comme des fleurs : « La mort attaque parfois en plein soleil/Il y a dans l’air vibrant un souffle de promesses : dans les échos du vent, tu l’entendras peut-être/ C’est là qu’il est tombé : Domenicu Vincetti/ Mortu pè a liberta, Domenicu Vincetti. »