Au soir du 24 août 1944, une petite avant-garde de la 2ème DB du général Leclerc fonçait dans Paris insurgé mais toujours occupée par les Allemands et atteignait l’hôtel de ville. La quinzaine de blindés prenait position pour défendre le  Comité National de Libération   qui s’y était installé.

 

Les Parisiens accourus  s’étonnaient de découvrir les noms de ces blindés: Madrid, Guadalajara, Brunete, Guernica, Teruel et même Don Quichotte…

Deux jours plus tard, le général de Gaulle, le général Leclerc, les membres du Comité de Libération,  remontaient à pieds   les Champs Elysée au milieu de la liesse populaire.

Les  images d’actualité montrent  ces mêmes blindés ouvrant cette marche et assurant la protection des deux hommes et celle de la foule des Parisiens qui les acclament, mais ces images  laissent anonymes les hommes à bord de ces blindés.

L’histoire officielle a été frappée d’amnésie à l’égard de ces hommes.

 

Pour le grand public, ils sortiront enfin de l’anonymat et de l’oubli soixante ans plus tard, en août 2004, dans un article du Nouvel Observateur signé par le général Michel Roquejoffre.

Il écrit :

«  Ce sont les véhicules du lieutenant Amado Granell, qui rêvait de la restauration de la République en Espagne ;

 De l’adjudant-chef Campos, anarchiste, évadé d’Espagne, chef de commando dans les corps francs d’Afrique ; du sergent chef Garcès, Aragonais de Saragosse, matador sous le nom de Larita II, ancien de la Légion ; d’Enguinados, né au Mexique d’une mère indienne et d’un père espagnol, engagé à 15 ans dans les rangs républicains ; de Juan Reiter, Allemand d’origine, ancien chef de bataillon de l’armée républicaine espagnole, évadé d’Espagne ; de Carino Lopez, marin pêcheur galicien qui, après la débâcle des Républicains, rejoignit Oran sur une petite chaloupe… »

Et le général Roquejoffre  souligne :

«  Ces Espagnols avaient repris les armes pour libérer la France. Les Français doivent le savoir(…) Ils ont droit à toute la reconnaissance des Français ».

 

La reconnaissance de la France officielle fut, elle, bien modeste.

Pourtant la France avait  une dette d’honneur  qu’elle aurait dû acquitter  pour effacer le profond sentiment de honte inspiré  par son attitude envers ces hommes, envers les Républicains espagnols, envers vous qui êtes ici aujourd’hui en leur nom.

Quand vous aviez besoin d’aide, la France vous a abandonné.

Quand elle aurait du vous accueillir bras ouverts, elle le fit baïonnettes pointées.

 

 Oui, dans l’Espagne de 1939, « ILS » sont passés… .

Mais  cela a eu lieu à cause de la trahison des grandes démocraties de l’époque,  trahison à laquelle, après l’échec du Front Populaire, la France a pris part.

Depuis sa proclamation le 14 avril 1931, la  République espagnole en effet faisait peur à tous les  biens pensants, comme elle faisait peur à la City de Londres et à Wall Street.

Elle représenta au contraire un espoir pour les peuples du monde entier qui s’organisèrent en un  formidable mouvement pour la soutenir.

Des dizaines de milliers de femmes et hommes, en particulier en France, s’enrôlèrent dans les Brigades internationales pour combattre à ses côtés, à vos côtés.

Avec ses ombres et ses lumières, les Brigades écrivirent une des pages qui ont marqué le siècle.

Leur héroïsme, celui des combattants républicains n’ont pas suffi.

La politique de non intervention des grandes puissances démocratiques abandonna de fait l’Espagne à Franco.

Elle laissa le champ libre au soutien massif que lui apportèrent l’Italie de Mussolini et surtout l’Allemagne de Hitler qui utilisa l’Espagne pour expérimenter ses techniques de guerre, les bombardements massifs de populations civiles.

Comment oublier ? Ce jour là, le 26 avril 1937,à Guernica c’était jour de marché lorsque survinrent les avions de la légion Condor envoyée par Hitler. Ils rasèrent Guernica sous une pluie de bombes. Aujourd’hui, l’horreur de cet acte est toujours ressentie. Picasso en effet a rendu à jamais ce crime imprescriptible en peignant son célèbre et dramatique tableau du nom de la  ville du pays basque, tandis que Paul Eluard annonçait en visionnaire la ‘Victoire’ future des morts de Guernica :

 « Parias la mort la terre et la hideur

   De nos ennemis ont la couleur

   Monotone de notre nuit

   Nous en aurons raison ».

 

Face à une puissance technologique supérieure, mal équipées, faiblement soutenues par la fausse générosité de Staline, les armées de la République  finirent par céder.

Les historiens n’ont pas fini de creuser les charniers de la guerre d’Espagne qui hante toujours notre mémoire d’images terribles.

Comment oublier celles de la ‘Retirada’ ?

 Ces centaines de milliers de femmes, d’enfants, de soldats exténués, hagards, frissonnant de froid, de faim, blessés ou malades, marchant -fourmilières humaines de désespoir et de misères- vers l’espoir que représentaient à leurs yeux, à vos yeux,  la France.

  Vous y avez été accueillis comme des bandits.

 Parqués dans des camps où abandonnés à votre faim, à votre soif, sans soins, sans abris, livrés aux poux, au typhus, beaucoup d’entre vous moururent.

Les blindés de la Libération que vous meniez au combat auraient pu porter d’autres noms.

Ceux d’Argelès, du Vernet, de Gurs, d’Agde, de Bram, de Septfonds…tous ces camps de concentration  du Sud Ouest où la France d’alors  vous a parqué.

Ils auraient pu s’appeler également, Setat Relizane, Bou-Arfa, camp Morand, Oued-Akrouch, Kenadsa,Tandara…ces camps d’Afrique du Nord avec notamment les sinistres camps dit «  de punition »de Hadjerta M’Guil,

Ain el Ourak, Meridja ou Djelfa, véritables bagnes où, soumis aux travaux forcés vous étiez livrés au sadisme de gardes ayant droit de vie  et de mort sur vous.

Tous ces noms de camps de concentration français que vous avez connus souvent avant de connaître les camps nazis.

Il y en avait plus d’une cinquantaine, ils ont été effacés de la mémoire française, sans doute parce que trop chargés de honte.

Pourtant, dès que la France eût déclaré la guerre à l’Allemagne nazie, c’est de ces camps que vous avez surgi pour reprendre les armes et combattre, en première ligne, cet ennemi qui nous était commun.

Longtemps fut accréditée l’idée que vous n’aviez été qu’une poignée à prendre part à la Libération de la France.

La vérité est que- dans la diversité de  ce que vous étiez- vous avez été des dizaines de milliers à combattre pour elle : dans les armées alliées, sous l’uniforme de la France Libre, dans les rangs des Francs Tireurs et Partisans, dans ceux de la M.O.I, dans les maquis du Limousin, des Glières, du Vercors, comme passeurs de clandestins dans les Pyrénées…

Quand l’un de vous tombait, vous mettiez sur sa tombe un petit drapeau républicain.

Vous demandiez à ce que l’inscription « mort pour la France »- ce qui était le cas- soit remplacée par «  mort pour la Liberté » !

Car votre engagement dans les combats de la France Libre répondaient à des valeurs universelles : celles de la Liberté, de la Justice, de la Démocratie, ces  valeurs incarnées par la République que vous aviez défendue pendant plus de trente mois d’une atroce guerre civile.

Une fois la France libérée, voyant à nouveau trahis vos espoirs  de libérer l’Espagne à son tour, vous avez préféré l’ombre et le silence à la renommée des héros.

Oui, la France vous doit sa totale reconnaissance et sa gratitude.

En baptisant de vôtre nom cette rue de Bobigny, nous avons  bien conscience de n’en payer qu’un modeste tribut, mais nous le faisons de tout cœur.

Honneur à vous, hommes de la République espagnole, combattants de la Liberté !