Journal LE TEMPS:
         

         
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HOTOGRAPHIE Lundi8 février 2010
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mémoire retrouvée des Brigades internationales
          
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AR LUC DEBRAINE
         A Genève, le Théâtre Saint-Gervais présente une exposition d’images rares de la guerre civile espagnole,(1936-1939), vue du côté des volontaires accourus du monde entier pour combattre le fascisme
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a guerre civile espagnole (1936-1939) a été maintes fois évoquée l’an dernier, à l’occasion des 70 ans de la fin du conflit. Les discussions ont été vives en Espagne autour du travail de mémoire et de la réhabilitation – ou non – des acteurs du conflit. Le hasard est même venu s’en mêler en faisant resurgir les négatifs perdus du photographe Robert Capa, témoin privilégié de la guerre civile (et contesté, avec sa photo de soldat fauché en pleine course).
         
         Dans le même temps circulait une exposition de photographies dédiées aux Brigades internationales, ces 35 000 hommes et femmes venus de 50 pays pour lutter avec les troupes républicaines contre le pouvoir franquiste. L’exposition, qui a beaucoup tournée ces dernières années en Espagne, fait halte ces jours à Genève, au Théâtre Saint-Gervais, dans le cadre de la manifestation «Mémoires blessées». Elle présente de nombreux documents inédits, glanés chez les familles d’anciens brigadistes, dont des Suisses, ou des archives publiques et privées en Espagne, en Hongrie ou en Russie. Voire dans les fonds du Komintern, les célèbres «archives de Moscou» réapparues dans les années 1990, après la chute du Mur.
         
         La diversité et la quantité des documents de l’exposition rappellent que cette guerre a été la première de l’ère des médias de masse. Les rédactions envoyaient leurs journalistes et photographes sur le front, n’hésitant pas à louer des avions entiers. Ernest Hemingway couvrait le conflit pour le compte de «l’alliance des journaux nord-américains». On le voit sur une image discuter avec son collègue de la Pravda. Robert Capa et son amie photographe Gerda Taro (qui sera tuée par un char près de Madrid), ainsi que David Seymour (l’un des fondateurs avec Capa de l’agence Magnum) étaient dépêchés par les puissants magazines. Le Hongrois Desvo Revai, dit Turaï, s’imposait par son talent et son engagement comme le «photographe officiel» des brigades. Les professionnels locaux, comme Luis Escobar à Albacete, ouvraient leur studio aux combattants. Ces derniers pouvaient se faire photographier, puis envoyer le cliché à leur famille. C’est grâce à cela que ces documents ont été retrouvés, dont les portraits d’un combattant genevois: Luis Escobar avait détruit tous ses clichés juste avant que sa ville soit prise par les troupes de Franco.
         
         Images amateurs et professionnelles, presse, extraits de livres, affiches, albums, revues, tracts: tous ces documents couvrent la saga brigadiste de l’été 1936 à la débâcle de 1939. On y voit les combats, les entraînements, les dirigeants, les liens avec les populations civiles, les parades, et surtout la solidarité suscitée par la résistance du peuple espagnol. Les banderoles de soutien flottent aussi bien dans le ciel de New York que dans une lointaine province chinoise. La propagande se met en place à une large échelle, reprenant les codes du réalisme socialiste: les portraits héroïques en contre-plongée, les mouvements dynamiques des soldats, la mise en valeur de la femme combattante. Dommage que l’exposition ne dise rien de ces références esthétiques, qui participent pourtant à la construction de la propagande visuelle.
         
         Parfois, une image banale peut réserver des surprises. Comme dans la file d’attente des volontaires devant la caserne Lénine de Barcelone, où un homme maigre patiente à l’arrière, dépassant d’une tête le reste des conscrits: l’écrivain George Orwell, sur le point de s’engager.
         
         L’exposition est aussi un hommage aux nombreux photographes espagnols qui ont témoigné de la lutte pour la liberté, dont Agustin Centelles et les frères Mayo. Des réfugiés antifascistes en Espagne, comme les Allemands Walter Reuter et Georg Reisner, ont aussi pris d’intéressantes images du conflit. A l’époque, ils devaient garder l’anonymat. La guerre perdue, leurs archives ont été saisies, détruites, perdues, ou déposées à Salamanque dans ce qui s’appelait «les archives des rouges». Quelques fois, des clichés étaient sauvés grâce à l’exil.
         
         Cette mémoire récupérée pièce par pièce dans le monde entier complète les images plus connues de Robert Capa, Chim ou des grandes agences de presse. Elles documentent en détail le mouvement des Brigades internationales, comme aucune lutte armée n’avait pu l’être auparavant. Car ces années 30 correspondent aussi à un âge d’or des magazines illustrés, comme Vu, Regards et Paris Match en France.
         
         No pasaran! Images des Brigades internationales dans la guerre d’Espagne. Théâtre Saint-Gervais, 5, rue du Temple, Genève. Jusqu’au 28 mars. Ma-di 12-18h, jusqu’à 20h les soirs de spectacle. 022/908 20 00. www.saintgerva
is.ch
         
         
         
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